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Decolonizing Islamophobia in France: An Interview with Houria Bouteldja

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I met Houria Bouteldja in Paris, France at the Institut du Monde Arabe, a building whose architectural majesty overcasts those around it, including the Notre Dame. Although it was built to raise cultural awareness (and in accordance with eighteen Arab countries), Houria, spokeswoman of Les Indigènes de la République, reminds me that it signifies much more. Like the country’s shifting national identity, the building is itself in motion, its very walls are apertures that open and close every hour to control light. Founded in 2005 and now a political party as well (Parti Des Indigènes de la République), Les Indigènes de la République is foremost an antiracist organization that recognizes discrimination against communities of color in France as a continuation of colonization. In other interviews Houria shares the principals of this movement. Here, we extend the conversation, discussing decolonization, the development of coalitions, youth activism and the effects of colonialism on young people, and theorizing from in the flesh.

Tala Khanmalek: Le mot «indigène» signifie beaucoup. C'est un terme politique. Il souligne que la colonisation est encore vivante. Il va au-delà de la question néocoloniale ou postcoloniale. Il dit que les indépendances africaines n'ont pas marqué la fin du colonialisme mais le premier pas vers la décolonisation.

Houria Bouteldja: Les mots sont politiques. Nous avons décidé de nous appeler les «indigènes de la république» car ce terme détruisait le mythe républicain, le mythe républicain qui affirme l'idée que la république française est une république égalitaire, juste et fraternelle. Si on croit à ce mythe, on joue le jeu républicain. En d'autres termes, on continue de se battre dans le cadre qui nous est imposé par le système dominant. Avec le mot «indigène» nous avons cessé d'accepter le cadre. Par exemple, un des mots de la république est «citoyen». Dans le cadre de la république, il y aurait des citoyens égaux. Certes, il y a des dysfonctionnements, quelques inégalités. Il suffit de se battre pour les corriger. C'est faut. L'inégalité est la règle; les prolétaires ne sont pas les égaux des bourgeois, les femmes ne sont pas les égales des hommes, les noirs, arabes et musulmans ne sont pas les égaux des blancs. L'inégalité est structurelle. D'où la nécessité de rompre avec la «croyance» républicaine. Aujourd’hui, nous sommes dans un rapport critique et radical avec la république. Nous ne sommes pas des citoyens mais des indigènes dans sa définition coloniale (code de l'indigénat). Ce qui est vrai pour nous l'est aussi pour les femmes. Les femmes ne sont pas les égales des hommes. Le mot «indigène» est une nouvelle étape dans la conscience politique des noirs et des arabes de France. Et effectivement le mot «indigène» a deux qualités. La première c’est de rompre avec le mythe républicain, la deuxième c’est qu'il nous relie à notre passé. Notre histoire ne commence pas avec l’immigration ouvrière. Elle commence avec l’histoire coloniale et la traite négrière. C’est important que nous même nous nous considérions comme des sujets coloniaux, enfants d'une histoire, une longue histoire d’oppression qui ne s'est pas terminée avec les indépendances. Aujourd’hui, nous sommes à cinquante ans des indépendances de l’Afrique. Ces indépendances étaient formelles. Nous sommes des indigènes car le colonialisme n'est pas fini.

TK: En plus, je crois que le mot «indigène» en signifiant la colonisation,  signifie la décolonisation aussi. Quel est le rapport entre la décolonisation et le Parti des Indigènes de la République (PIR)? Comment est-ce que le PIR s'organise d'un point de vue décolonial?

HB: D’abord, être décolonial, c'est comprendre qu’il y a des rapports de domination économique, politiques, militaires, culturels de l'occident sur le reste du monde. C'est comprendre également que nous sommes des indigènes à l'intérieur de l'empire occidental et que nous bénéficions de ces rapports de domination. Être décolonial, c’est ne plus vouloir bénéficier des rapports de domination. Je suis une indigène de France, je vis dans le confort. Tout le monde ne vit pas dans les mêmes confort en France: il y a des très riches, il y a des très pauvres, il y a les classes moyennes. Je fais partie de la classe moyenne basse…C’est un privilège. Les indigènes de France, même s'ils occupent les places inférieures de la société, profitent globalement du système; ils ont un privilège. Il vaut mieux être pauvre en France, que pauvre en Afrique. En quelque sorte, les indigènes de France sont en même temps victimes du système racial mais également complices des rapports nord/sud.  Donc, être décolonial, c’est comprendre ce rapport, et ce n’est pas croire que parce que je suis une indigène et une femme de couleur, je n’ai pas des privilèges. J’ai des privilèges. Un jour, il faudra payer la note. C’est ca la responsabilité décoloniale. C’est comprendre sa responsabilité par rapport au monde. Il faut s'organiser, produire une pensée politique décoloniale, créer des liens avec d’autres mouvements à travers le monde. Voilà. C’est tout un programme. C’est quoi décoloniser en France? C’est quoi décoloniser en Bolivie? C’est quoi décoloniser aux Etats-Unis? C’est quoi décoloniser en Tunisie? Globalement, il y a une matrice commune, mais il y a des contextes locaux particuliers. En France cela signifie critiquer les rapports de dominations des rapports entre les blancs et les indigènes, lutter contre la suprématie blanche et puis mobiliser contre les injustices, contre la police, la discrimination, pour la Palestine.

TK: Comment est-ce que le mot «indigène» offre un rapport «universel» entre les peuples avec des expériences très particulières? Comment est-ce que le PIR organise les indigènes du France collectivement, tout en honorant des histoires individuelles? 

HB: Dans un premier temps, il faut déjà créer, produire, un universel indigène. Il y a d’abord l’étape de la conscience, de la condition commune. Il faut créer, il faut montrer le lien commun entre un Antillais, un Africain, un Musulman, un Animiste, un Chrétien du Congo, un Vietnamien, un Algérien. C’est quoi le lien commun entre toutes ces populations en France? Ca c’est l’universel indigène. C’est la matrice commune. Et effectivement, il faut l’articuler avec les histoires nationales, religieuses, particulières de toutes ces communautés. C’est très difficile. Parce qu’il n’y a pas forcement des intérêts commun immédiats. Les intérêts sont souvent divergents. Il n’y a pas de solution miracle. C’est à nous de convaincre.

TK: Comment est-ce que le PIR crée des coalitions? Comment est-ce que les indigènes créent des coalitions internationales? En particulier, avec les autres qui n’ont pas «éprouvé» la colonisation, mais qui se considèrent colonisés ou dans un rapport colonial?

HB: Nous avons beaucoup valorisé la victoire de Dien Bien Phu. C’est une date qui appartient à tous les anticolonialistes, qu'ils soient blancs ou indigènes. C’est une grande victoire de l’anticolonialisme. On a fait des affiches à Paris, on a ainsi montré le lien colonial entre africains et asiatiques. Pour autant, il n'y a pas d'asiatique dans notre mouvement. Il y a des problèmes culturels, des pratiques sociales, qui sont difficiles à dépasser. Un autre exemple: les Turcs. Les Turcs n'ont jamais été colonisés. Pourtant, ils sont traités comme des indigènes parce qu’ils sont musulmans. Cela ne suffit pas à les convaincre de rentrer dans un mouvement comme le nôtre.

TK: J'ai le sentiment que l’organisation est certainement informée par une génération spécifique. Pourquoi? Quelle est l’importance de la jeunesse pour le PIR?                                                                 

HB: Il y a une grande importance de la jeunesse. Il faut qu'il y ait une transmission des luttes et de la conscience politique. Ce n'est pas à l'école qu'on va nous enseigner la lutte anticoloniale. Qui mieux qu'une organisation politique pourra transmettre l'héritage anticoloniale aux jeunes générations?

TK: Je me demande souvent en tant qu’ «Iranienne Américaine» quelle est la part de l’expérience de mes parents et de mes ancêtres que je dois «garder» et quelle est la part à jeter? Par exemple, parce que je n’ai pas combattu dans la révolution islamique en 1979, j’ai un investissement différent dans cette expérience qui me permet d’avoir un genre différent de rapport avec ce qui s’est passé. Est-ce que c’est une question semblable pour les indigènes? Comment négociez-vous ceci?

HB: Malheureusement, le lien avec l'histoire n’est pas assez fort. Il a été brisé. Le fait intégrationniste en France est très fort. Il nous coupe de notre passé. Cela a eu pour effet de diminuer notre conscience politique. L'intégration nous éloigne de nous-mêmes. Il y a eu beaucoup de ruptures. Aujourd’hui en une ou deux générations (ce n’est pas beaucoup), on a perdu une partie de nos traditions culinaires, on a perdu la langue, on a perdu les formes des relations sociales, on a perdu le rapport à l’identité. Et aujourd’hui, on fait de la politique avec ce qui nous reste. C’est à dire des bribes, des petits morceaux, comme un puzzle. Un mouvement comme le notre a pour vocation de reconstruire une part de cet héritage. C’est difficile, mais l’idée est là : reconstruire l’héritage. Il faut nous réhabiliter aux yeux de nous-mêmes. Il faut construire des nouveaux sens avec ce qu’on a, mais avec un point de vue décolonial.

TK: J’aime et j’apprécie que, dans les mots des féminismes du U.S. Third World Women of Color, vous parler et théorisez toujours «in the flesh.» Je pense que la phrase en français est «en chair.» Pourquoi est-ce que c’est important ? Que signifie-t-il pour l’activisme?

HB: Cela a ne suffit pas d’élaborer des théories. Cela ne suffit pas par exemple de dire « intersectionalité. » Ce qui compte, ce sont les expériences concrètes des indigènes hommes et femmes. Si le mot "féminisme" qui est trop connoté «blanc» pour les indigènes bloque la lutte des femmes indigènes, alors je dois inventer de nouvelles stratégies pour l'émancipation des femmes sans passer par les mots conçus pour et par les blancs. Même le féminisme doit être décolonial.


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